Comment se sent-on quand…?

Dorylas Moreau

Il y a quelques jours, je recevais la visite de bons amis. À peine la conversation amorcée, l’un d’eux me demande : «Eh bien! Comment se sent-on quand…?» et il suspendit la fin de sa phrase. Il ne savait peut-être plus comment la formuler. Il me savait malade et faisait sans doute référence à la dégradation progressive de la vie qu’on m’avait annoncée. Au même instant, je n’ai pas su comment répondre de manière juste. Mais par la suite, seul, j’ai réfléchi. Comment me sentir quand la fin probable de ma vie m’est annoncée?

C’est un chemin cahoteux qu’il me faut marcher. Né et grandi sur les bords du grand fleuve dans le Bas-Saint-Laurent, je peux comparer mon état à un bateau battu par les vagues de la mer. Parfois les vagues sont immenses par grand vent et elles font craquer le bateau; d’autres fois, elles sont plus légères et ont l’effet d’une poussée qui fait avancer. Mon état s’apparente à cela.

À l’expérience, il est certain que l’on apprécie bien davantage le moment présent : un sourire, un signe de la main, une aide, un souvenir partagé, un pas familier, la beauté du soleil naissant, la bonne chaleur du jour, la légère brise de vent dans les arbres et sur les feuilles, le chant de l’oiseau, et tout bruissement dans la nature… Tout ce qui est normal dans une vie ordinaire prend un relief particulier en fin de vie.

Je suis conscient aussi de mener plus loin ma mission de baptisé et de prêtre, quoi qu’autrement. Le regretté P. Bruno Chenu, décédé d’un cancer, il y a quelques années, avait dit qu’être homme, c’est souvent se tenir dans la joie mais c’est aussi savoir se tenir dans l’épreuve «où nous ne pouvons que nous blottir au creux de Dieu». Je rends grâce d’être croyant car ma foi, même mise à l’épreuve, continue de me soutenir comme une force indicible. Marek Halter a écrit : «C’est en des moments comme ceux-là que j’envie les hommes de foi».