PARTIR AVEC LE VENT

Martin Bouffard

Laissez-moi vous raconter l’histoire de la mère d’une amie. Cette nonagénaire a eu une vie bien remplie. Véritable force de la nature, elle a élevé ses enfants dans un contexte où la débrouillardise était de mise afin de joindre les deux bouts. Même si la famille n’était pas riche, les enfants n’ont jamais manqué de rien. Par contre, pour elle et son mari décédé il y a quelques années, la vie n’était pas de tout repos. Les vacances et jours de congé étaient rares. Une fois la famille élevée et les enfants ayant tous quittés le nid familial, elle décida de s’impliquer pendant plusieurs années dans le bénévolat et les causes humanitaires. Elle aurait bien pu se dire : « C’est assez, maintenant, je profite de la vie. » Non. Cette dame était un ouragan de vaillance et de dévotion.

Malheureusement, l’âge et la maladie l’ont rattrapée. Depuis quelques années, elle souffre d’Alzheimer, ne voit et n’entend presque plus. Cette dame, qui avait l’habitude de marcher sans arrêt, a maintenant peine à se déplacer et ne peut presque plus mettre le nez à l’extérieur.

L’autre jour, mon amie est allée rendre visite à sa mère en compagnie de sa fille et de son gendre. Après quelques heures à discuter, mon amie et sa fille sont sorties à l’extérieur, laissant la dame seule avec le jeune homme qu’elle connaissait à peine. La dame, dans un élan de lucidité, demanda alors : « Jeune homme, sais-tu quel âge que j’ai? » Il lui répondit fièrement l’âge exact de la dame qui lui répondit : « En plein ça. Et j’en ai fait des choses dans la vie. Sais-tu ce que j’aimerais le plus maintenant? » Il lui répondit par la négative. Elle enchaîna : « Je m’en irais dans le bois, dans la nature. Je marcherais en regardant le paysage. Je sentirais les bonnes odeurs. Je me trouverais un bel endroit confortable. Je m’y installerais et doucement, je pousserais mon dernier soupir en contemplant la nature car je suis tellement fatiguée et malheureuse maintenant. » Cette histoire me fit réfléchir. En conclusion, simple question. Et si c’était votre mère?